Quelle fiscalité pour les « pros » ou traders en cryptomonnaies en France (2025)

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Introduction

Depuis 2019, la fiscalité des cryptomonnaies en France est beaucoup plus claire pour les particuliers. Cependant, c’était assez différent pour la fiscalité des « pros » ou traders en cryptomonnaies. On appliquait le critère traditionnel de l’activité habituelle, dont la constatation rendait applicable le régime des bénéfices industriels et commerciaux (BIC).

Pendant plusieurs années, l’administration fiscale a appliqué la doctrine fiscale de l’Administration, exprimée au Bulletin officiel des finances publiques (BOFIP) et datant de 2014. Le 26 avril 2018, l’arrêt Rycke du Conseil d’État est venu confirmer ces dispositions. De 2014 au 31 décembre 2022, le crypto-trading était confronté au critère de l’activité habituelle, qui déclenchait l’application du régime des bénéfices industriels et commerciaux (BIC). L’achat pour revendre étant un acte de commerce par nature (article L. 110-1, 1° du Code de commerce), l’exercice habituel de tels achats-reventes caractérisait une activité commerciale, dont les revenus sont naturellement imposables comme BIC.

En conséquence, la fiscalité des traders en cryptomonnaies est restée floue, à l’interprétation complexe, jusqu’en 2023. La loi de finances pour 2022 a en effet prévu de nouvelles règles, applicables à compter du 1er janvier 2023, venant aligner le crypto-trading sur le trading boursier traditionnel, soumis au régime des bénéfices non commerciaux (BNC) de l’article 34 du Code général des impôts.

Cette modification était destinée à simplifier la fiscalité des transactions cryptos. Dans l’esprit du législateur, soit les opérations étaient occasionnelles et on appliquait l’article 150 VH bis, soit elles étaient exercées dans les conditions analogues à celles d’un professionnel et on appliquait l’article 92 du CGI sur les BNC. Le régime des BIC devait donc disparaître pour les personnes physiques réalisant des transactions cryptos. Mais l’Administration fiscale, dans sa doctrine, mentionne toujours le régime des BIC comme applicable par principe, le régime des BNC étant à ses yeux une exception. L’intention du législateur n’est donc ni comprise, ni respectée par cette doctrine.

L’enjeu est de taille : identifier si l’on est en présence d’un crypto-trader occasionnel, quasi-professionnel ou professionnel, c’est identifier le régime fiscal applicable à ses plus-values cryptos. Il est important de pouvoir identifier le régime fiscal duquel on répond et surtout, de pouvoir le démontrer si l’Administration fiscale conteste votre choix.

Dans la plupart des cas problématiques, le risque est celui d’un contribuable qui aurait déclaré en 150 VH bis et verrait sa situation requalifiée en BNC ou en BIC, ou qui n’aurait pas déclaré (cette absence peut être « légitime », par exemple un contribuable qui croit être couvert par la neutralité des échanges entre cryptos) et auquel on dit qu’il aurait du déclarer car il relèverait en réalité des BNC ou des BIC. Le contribuable qui n’a pas déclaré alors qu’il aurait du déclarer quelque chose peut quant à lui se voir appliquer le régime des BNC/BIC à titre de « sanction officieuse » car ces régimes sont plus lourds et offrent au fisc des moyens procéduraux plus avantageux.

Il y a donc de vrais enjeux de fond et de procédure !

Une fiscalité différente pour les occasionnels, les quasi-professionnels et les professionnels

La réservation du régime de l’article 150 VH bis du Code général des impôts aux particuliers gérant leur patrimoine privé

En 2019, le Code général des impôts (CGI) voit apparaître un nouvel article : le 150 VH bis. Créé par la loi de finances pour l’année 2019, il a pour objectif d’instaurer une flat tax de 30 % pour les plus-values générées grâce à vos investissements en actifs numériques (cryptomonnaies et utility tokens essentiellement).

Cependant, l’article débute pour une exclusion de principe : « Sous réserve des dispositions propres aux bénéfices professionnels… » On ne peut pas faire plus clair : l’article 150 VH bis ne s’applique pas aux bénéfices professionnels. En d’autres termes, il est applicable aux seuls particuliers qui gèrent occasionnellement leur patrimoine privé, ceux qui font des transactions sur actifs numériques de manière occasionnelle.

Avant le 1er janvier 2023 (date d’entrée en vigueur de l’article 92, 2, 1° bis CGI), on opposait l’activité occasionnelle, obéissant à l’article 150 VH bis, à l’activité habituelle, obéissant à l’article 34 du Code général des impôts, relatif aux bénéfices industriels et commerciaux (BIC).

À compter du 1er janvier 2023, on oppose désormais l’activité occasionnelle, obéissant à l’article 150 VH bis, à l’activité quasi-professionnelle de crypto-trader, obéissant à l’article 92 du Code général des impôts, relatif aux bénéfices non commerciaux (BNC). Concrètement, ce nouveau régime doit être appliqué aux revenus devant être déclarés à compter de l’année 2024.

Voici la lettre du 1° bis de l’article 92 du CGI : « Sont considérés comme provenant de l'exercice d'une profession non commerciale ou comme revenus assimilés aux bénéfices non commerciaux […] Les produits des opérations d’achat, de vente et d’échange d’actifs numériques effectuées dans des conditions analogues à̀ celles qui caractérisent une activité exercée par une personne se livrant à̀ titre professionnel à ce type d’opérations ».

La qualification de bénéfices industriels et commerciaux (BIC) devrait depuis le 1er janvier 2023 être hors de cause. Telle semblait bien être la volonté du législateur, qui voulait que le régime des BNC s’applique en lieu et place de celui des BIC. Toutefois, la doctrine fiscale affirme expressément qu’elle demeure applicable à titre de principe, de sorte qu’il existerait désormais trois cas de figure et donc trois régimes :

  • Le particulier gérant occasionnellement son patrimoine privé : article 150 VH bis du Code général des impôts.
  • Le particulier exerçant son activité de trading dans des conditions analogues à celles d’un professionnel (critères qualitatifs) : article 92 du Code général des impôts.
  • Le particulier exerçant une activité habituelle de trading (critères quantitatifs) : article 34 du Code général des impôts. Ce cas devrait être marginal, essentiellement celui du crypto-trader dont c’est l’activité principale et qui ne fait que ça de la journée, engageant pour cela des moyens importants.

À retenir : Votre situation dépendra normalement soit de l’activité occasionnelle (art. 150 VH bis CGI), soit de l’activité quasi-professionnelle (art. 92 CGI). La position de l’Administration fiscale, qui continue de penser que l’article 34 demeure applicable, est contestable au regard de l’intention du législateur d’aligner le régime du crypto-trading sur le trading traditionnel. Cette doctrine, si elle était mise en œuvre contre un contribuable, pourrait vraisemblablement être contestée avec succès. Toutefois, un contribuable qui a un intérêt à voir appliquer l’article 34 plutôt que l’article 92 peut opposer à l’Administration sa propre doctrine dès lors qu’il en a respecté strictement les conditions.

Comment distinguer le crypto-trader occasionnel du crypto-trader quasi-professionnel ?

Ce qui distingue le crypto-trader occasionnel du crypto-trader quasi-professionnel, ce n’est plus la fréquence et l’importance des transactions (critères quantitatifs), mais les moyens mis en œuvre (critères qualitatifs) : pour identifier un quasi-professionnel au sens de l’article 92, 2, 1° bis du Code général des impôts, l’Administration vérifiera s’il a étudié et/ou travaillé dans la finance, s’il a suivi des formations de trading en crypto-actifs (savoir-faire), s’il a acquis des logiciels de trading, s’il utilise l’intelligence artificielle ou des bots de trading, voire s’il les a codés, s’il a accès à des informations privilégiés, (groupes de calls), s’il réalise des opérations de trading rapides et complexes, qui supposent des connaissances importantes. L’ensemble de ces éléments formeront un faisceau d’indices sur la base desquels l’Administration tranchera : c’est essentiellement du « cas par cas ».

Ce qui est décisif, c’est que la conduite du particulier en question ne soit pas fondamentalement différente de celle qu’il adopterait s’il était salarié d’une entreprise de trading ou s’il tradait frontalement avec le statut d’entreprise, voire en la forme sociale.

Le montant de la plus-value crypto, comparativement aux autres revenus du contribuable, n’est donc à lui seul pas décisif : une personne ordinaire peut avoir « bien senti le coup » sans disposer de connaissances ou de moyens particuliers.

Tel est le cas par exemple des early adopters de Bitcoin, dont les gains peuvent atteindre plusieurs millions d’euros et constituer l’essentiel du patrimoine et des revenus de ces personnes. Le fait de réaliser ces gains latents n’est pas en soi une opération qui va les soumettre au régime des BNC.

Enfin, si l’Administration prétend que vous êtes un crypto-trader quasi-professionnel, ce sera à elle d’en apporter la preuve, dans les conditions prévues par l’article 92, 2, 1° bis du Code général des impôts : elle ne pourra pas rapporter cette preuve uniquement en invoquant contre vous des critères quantitatifs (nombre de transactions et montant des transactions), car la notion de « conditions analogues » concerne des critères qualitatifs.

Elle devra donc démontrer votre savoir-faire professionnel, vos compétences particulières. Attention donc, à la vantardise sur les réseaux sociaux, qui pourrait se retourner contre vous : prétendre avoir découvert une méthode révolutionnaire, proposer des formations ou analyses de trading, exposer le bot que vous avez codé n’est pas un bon moyen pour se voir appliquer l’article 150 VH bis !!!

Pour aller plus loin : L’approche qualitative peut être critiquée, car l’écosystème crypto évolue : même des novices relatifs peuvent facilement se former à l’analyse de marché et accéder à des bots ou intelligences artificielles de trading pour des prix modiques. Le recours d’appoint à l’approche quantitative (pour corroborer des éléments qualitatifs) n’est pas exempt de tout reproche, car il est fréquent en cryptos de réaliser des transactions nombreuses sous l’influence de la hype ou de ses émotions ainsi que d’effectuer des rotations de portefeuille, c’est-à-dire des cycles d’achat-revente qui sont traditionnellement effectués par des professionnels. Autrement dit, la crypto brouille les frontières traditionnelles entre le particulier lambda qui gère son patrimoine et l’initié qui se livre au trading professionnel.

Exemples :

  1. Un plombier sans formation aucune dans l’univers du trading investit sur conseils d’un ami développeur une partie de ses économies dans trois cryptomonnaies, qu’il achète d’un seul coup (trois transactions), puis revend quelques mois après. Il réalise, pour l’année 2023, une plus-value de 60 000€. Ses revenus de plombier sont de 40 000€. Il n’y a pas de raison particulière de le soumettre au régime du quasi-professionnel (absence des moyens analogues à ceux d’un professionnel) et, a fortiori, au régime du professionnel (absence de la fréquence caractérisant une activité habituelle). L’article 150 VH bis est applicable.
  2. Un trader formé à la finance et à l’informatique, est gère une partie du portefeuille d’un grands fonds d’investissement. Il est à jour des dernières techniques de trading, connait et maîtrise les analyses fondamentales et techniques. Il a également suivi des formations sur les crypto-actifs. Il investit une partie de ses économies dans diverses cryptomonnaies, réalisant des transactions nombreuses à l’aide de logiciels, de bots, de l’IA, etc. Il réalise, pour l’année 2023, une plus-value de 70 000€. Son salaire annuel est de 120 000€. Sa situation invite fortement à considérer qu’on est en présence de gains réalisés grâce à la mise en œuvre de moyens analogues à ceux dont dispose un professionnel, même si la plus-value est inférieure au salaire de ce trader : il faudrait donc soumettre ces gains, en vertu de l’article 92, 2, 1° bis du CGI au régime des BNC. L’article 150 VH bis est donc inapplicable.

Quelles sont les différences entre cette fiscalité des traders et celle des particuliers ?

La première, nous l’avons déjà mentionnée : on applique le régime fiscal des BNC, et non pas la flat tax. Le montant identifié grâce à l’application des règles BNC sera soumis, avec l’ensemble des autres revenus du contribuable, au barème progressif de l’impôt sur le revenu. C’est particulièrement défavorable au contribuable dont le taux d’imposition marginal est déjà élevé.

Conséquemment, l’application du régime des BNC soumet le contribuable aux cotisations sociales, payables à l’URSSAF et non pas aux prélèvements sociaux (qui sont des impôts) payables au trésor public.

La seconde est importante : les échanges entre crypto-actifs ne sont pas neutres fiscalement, contrairement à ce qui est prévu lorsque l’article 150 VH bis est applicable. En d’autres termes, si vous vendez du BTC contre de l’ETH ou de l’USDC, cette transaction est immédiatement imposable si vous êtes soumis au régime des BNC, elle doit donc être traitée comme générant une recette et une dépense.

La troisième, si vous n’êtes pas soumis au régime micro-BNC (le seuil est fixé à 77 700 € de chiffre d’affaires), vous êtes imposé au régime réel et devez tenir une véritable comptabilité. Ce régime est appelé « déclaration contrôlée ». Il est potentiellement plus avantageux que le régime réel, mais tout dépend de votre situation.

La quatrième, c’est que vous pouvez déduire tous les frais qui sont liés à votre activité et c’est potentiellement beaucoup de choses (matériel et formation par exemple, en plus des frais de transactions).

La cinquième, c’est que vous ne pouvez pas reporter un éventuel déficit sur le revenu global, mais seulement sur vos bénéfices de crypto-traders des six années ultérieures.

Si vous pensez être dans une situation d’activité quasi-professionnelle ou que l’Administration considère que c’est le cas dans le cadre d’une procédure de rectification, le mieux que nous pouvons vous conseiller, c’est de 1° de conserver les preuves de vos opérations et 2° de consulter un avocat fiscaliste.

Synthèse

  • Les personnes sans compétences ni moyens matériels particuliers sont soumises au régime de l’article 150 VH bis du Code général des impôts, même s’ils réalisent des plus-values importantes = régime de l’activité quasi-occasionnelle.
  • Les personnes qui, dans le cadre d’une activité de crypto-trading, mettent en œuvre des moyens intellectuels (formations, conseils, expérience professionnelle) et matériels (logiciels, machines, intelligence artificielle) analogues à ceux dont dispose un professionnel exerçant dans le même secteur d’activité sont soumis au régime de l’article 92 du Code général des impôts (BNC) = régime du quasi-professionnel.
  • Les personnes qui exercent à titre habituel (fréquence, montant des transactions et durée de détention) une activité de crypto-trading pourraient être soumises au régime de l’article 34 du Code général des impôts (BIC) = régime du professionnel.
  • Les personnes qui exercent une activité de crypto-trading en la forme d’une société soumise à l’impôt sur les sociétés échappent toutes ces difficultés puisqu’on applique en tout état de cause les règles de l’impôt sur les sociétés, largement inspirées de celles des BIC.