Quelle fiscalité pour les « pros » ou traders en cryptomonnaies en France (2024)

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Introduction

Depuis 2019, la fiscalité des cryptomonnaies en France est beaucoup plus claire pour les particuliers. Cependant, c’était assez différent pour la fiscalité des « pros » ou traders en cryptomonnaies. On appliquait le critère traditionnel de l’activité habituelle, dont la constatation rendait applicable le régime des bénéfices industriels et commerciaux (BIC).

Pendant plusieurs années, l’administration fiscale a appliqué la doctrine fiscale de l’Administration, exprimée au Bulletin officiel des finances publiques (BOFIP) et datant de 2014. Le 26 avril 2018, l’arrêt Rycke du Conseil d’État est venu confirmer ces dispositions. De 2014 au 31 décembre 2022, le crypto-trading était confronté au critère de l’activité habituelle, qui déclenchait l’application du régime des bénéfices industriels et commerciaux (BIC). L’achat pour revendre était un acte de commerce par nature (article L. 110-1, 1° du Code de commerce), l’exercice habituel de tels achats-reventes caractérisait une activité commerciale, dont les revenus sont naturellement imposables comme BIC.

En conséquence, la fiscalité des traders en cryptomonnaies est restée floue, à l’interprétation complexe, jusqu’en 2023. La loi de finances pour 2022 a en effet prévu de nouvelles règles, applicables à compter du 1er janvier 2023, venant aligner le crypto-trading sur le trading boursier traditionnel, soumis au régime des bénéfices non commerciaux (BNC) de l’article 34 du Code général des impôts.

L’enjeu est de taille : identifier si l’on est en présence d’un crypto-trader occasionnel, quasi-professionnel ou professionnel, c’est identifier le régime fiscal applicable à ses plus-values cryptos. Il est important de pouvoir identifier le régime fiscal duquel on répond et surtout, de pouvoir le démontrer si l’Administration fiscale conteste votre choix.

Une fiscalité différente pour les occasionnels, les quasi-professionnels et les professionnels

La réservation du régime de l’article 150 VH bis du Code général des impôts aux particuliers gérant leur patrimoine privé

En 2019, le Code général des impôts (CGI) voit apparaître un nouvel article : le 150 VH bis. Créé par la loi de finances pour l’année 2019, il a pour objectif d’instaurer une flat tax de 30 % pour les plus-values générées grâce à vos investissements en actifs numériques (cryptomonnaies et utility tokens essentiellement).

Cependant, l’article débute pour une exclusion de principe : « Sous réserve des dispositions propres aux bénéfices professionnels… » On ne peut pas faire plus clair : l’article 150 VH bis ne s’applique pas aux bénéfices professionnels. En d’autres termes, il est applicable aux seuls particuliers qui gèrent occasionnellement leur patrimoine privé, ceux qui font des transactions sur actifs numériques de manière occasionnelle.

Avant le 1er janvier 2023 (date d’entrée en vigueur de l’article 92, 2, 1° bis CGI), on opposait l’activité occasionnelle, obéissant à l’article 150 VH bis, à l’activité habituelle, obéissant à l’article 34 du Code général des impôts, relatif aux bénéfices industriels et commerciaux (BIC).

À compter du 1er janvier 2023, on oppose désormais l’activité occasionnelle, obéissant à l’article 150 VH bis, à l’activité quasi-professionnelle de crypto-trader, obéissant à l’article 92 du Code général des impôts, relatif aux bénéfices non commerciaux (BNC). Concrètement, ce nouveau régime doit être appliqué aux revenus devant être déclarés à compter de l’année 2024.

Voici la lettre du 1° bis de l’article 92 du CGI : « Sont considérés comme provenant de l'exercice d'une profession non commerciale ou comme revenus assimilés aux bénéfices non commerciaux […] Les produits des opérations d’achat, de vente et d’échange d’actifs numériques effectuées dans des conditions analogues à̀ celles qui caractérisent une activité exercée par une personne se livrant à̀ titre professionnel à ce type d’opérations ».

La qualification de bénéfices industriels et commerciaux devrait depuis le 1er janvier 2023 être hors de cause. Telle semblait bien être la volonté du législateur, qui voulait que le régime des BNC s’applique en lieu et place de celui des BIC. Toutefois, la doctrine fiscale affirme expressément qu’elle demeure applicable à titre de principe, de sorte qu’il existerait désormais trois cas de figure et donc trois régimes :

  • Le particulier gérant occasionnellement son patrimoine privé : article 150 VH bis du Code général des impôts.
  • Le particulier exerçant son activité de trading dans des conditions analogues à celles d’un professionnel (critères qualitatifs) : article 92 du Code général des impôts.
  • Le particulier exerçant une activité habituelle de trading (critères quantitatifs) : article 34 du Code général des impôts. Ce cas devrait être marginal, essentiellement celui du crypto-trader dont c’est l’activité principale et qui ne fait que ça de la journée, engageant pour cela des moyens importants.

À retenir : Votre situation dépendra normalement soit de l’activité occasionnelle (art. 150 VH bis CGI), soit de l’activité quasi-professionnelle (art. 92 CGI). La position de l’Administration fiscale, qui continue de penser que l’article 34 demeure applicable, est contestable au regard de l’intention du législateur d’aligner le régime du crypto-trading sur le trading traditionnel. Cette doctrine, si elle était mise en œuvre contre un contribuable, pourrait vraisemblablement être contestée avec succès. Toutefois, un contribuable qui a un intérêt à voir appliquer l’article 34 plutôt que l’article 92 peut opposer à l’Administration sa propre doctrine dès lors qu’il en a respecté strictement les conditions.

Comment distinguer le crypto-trader occasionnel du crypto-trader quasi-professionnel ?

Ce qui distingue le crypto-trader occasionnel du crypto-trader quasi-professionnel, ce n’est plus la fréquence et l’importance des transactions (critères quantitatifs), mais les moyens mis en œuvre (critères qualitatifs) : pour identifier un quasi-professionnel au sens de l’article 92, 2, 1° bis du Code général des impôts, l’Administration vérifiera s’il a étudié et/ou travaillé dans la finance, s’il a suivi des formations de trading en crypto-actifs (savoir-faire), s’il a acquis des logiciels de trading, s’il utilise l’intelligence artificielle ou des bots de trading, s’il a accès à des informations privilégiés, s’il réalise des opérations de trading rapides et complexes, qui supposent des connaissances importantes. L’ensemble de ces éléments formeront un faisceau d’indices sur la base desquels l’Administration tranchera : c’est essentiellement du « cas par cas ».

Ce qui est décisif, c’est que la conduite du particulier en question ne soit pas fondamentalement différente de celle qu’il adopterait s’il était salarié d’une entreprise de trading ou s’il tradait frontalement avec le statut d’entreprise, voire en la forme sociale.

Le montant de la plus-value crypto, comparativement aux autre revenus du contribuable, n’est donc pas décisif : une personne ordinaire peut avoir « bien senti le coup » sans disposer de connaissances ou de moyens particuliers. Celle-ci sera donc vraisemblablement soumise à l’article 150 VH bis.

Enfin, si l’Administration prétend que vous êtes un crypto-trader quasi-professionnel, ce sera à elle d’en apporter la preuve, dans les conditions prévues par l’article 92, 2, 1° bis du Code général des impôts : elle ne pourra pas rapporter cette preuve uniquement en invoquant contre vous des critères quantitatifs (nombre de transactions et montant des transactions), car la notion de « conditions analogues » concerne des critères qualitatifs.

Exemples :

  1. Un plombier sans formation aucune dans l’univers du trading investit sur conseils d’un ami développeur une partie de ses économies dans trois cryptomonnaies, qu’il achète d’un seul coup (trois transactions), puis revend quelques mois après. Il réalise, pour l’année 2023, une plus-value de 60 000€. Ses revenus de plombier sont de 40 000€. Il n’y a pas de raison particulière de le soumettre au régime du quasi-professionnel (absence des moyens analogues à ceux d’un professionnel) et, a fortiori, au régime du professionnel (absence de la fréquence caractérisant une activité habituelle). L’article 150 VH bis est applicable.
  2. Un trader formé à la finance et à l’informatique, est gère une partie du portefeuille d’un grands fonds d’investissement. Il est à jour des dernières techniques de trading, connait et maîtrise les analyses fondamentales et techniques. Il a également suivi des formations sur les crypto-actifs. Il investit une partie de ses économies dans diverses cryptomonnaies, réalisant des transactions nombreuses à l’aide de logiciels, de bots, de l’IA, etc. Il réalise, pour l’année 2023, une plus-value de 70 000€. Son salaire annuel est de 120 000€. Sa situation invite fortement à considérer qu’on est en présence de gains réalisés grâce à la mise en œuvre de moyens analogues à ceux dont dispose un professionnel, même si la plus-value est inférieure au salaire de ce trader : il faudrait donc soumettre ces gains, en vertu de l’article 92, 2, 1° bis du CGI au régime des BNC. L’article 150 VH bis est donc inapplicable.

Quelles sont les différences entre cette fiscalité des traders et celle des particuliers ?

La première, nous l’avons déjà mentionnée : on applique le régime fiscal des BNC, et non pas la flat tax. Le montant identifié grâce à l’application des règles BNC sera soumis, avec l’ensemble des autres revenus du contribuable, au barème progressif de l’impôt sur le revenu. C’est particulièrement défavorable au contribuable dont le taux d’imposition marginal est déjà élevé.

La seconde est importante : les échanges entre crypto-actifs ne sont pas neutres fiscalement, contrairement à ce qui est prévu lorsque l’article 150 VH bis est applicable. En d’autres termes, si vous vendez du BTC contre de l’ETH ou de l’USDC, cette transaction est immédiatement imposable.

La troisième, si vous n’optez pas pour le régime micro-BNC (le seuil est fixé à 77 700 € de chiffre d’affaires), vous êtes imposé au régime réel et devez tenir une véritable comptabilité. Ce régime est appelé « déclaration contrôlée ». Il est potentiellement plus avantageux que le régime réel, mais tout dépend de votre situation.

La quatrième, c’est que vous pouvez déduire tous les frais qui sont liés à votre activité et c’est potentiellement beaucoup de choses (matériel et formation par exemple, en plus des frais de transactions).

La cinquième, c’est que vous ne pouvez pas reporter un éventuel déficit sur le revenu global, mais seulement sur vos bénéfices de crypto-traders des six années ultérieures.

Si vous pensez être dans une situation d’activité quasi-professionnelle, le mieux que nous pouvons vous conseiller, c’est de 1° de conserver les preuves de vos opérations et 2° de consulter un avocat fiscaliste.

Synthèse

  • Les personnes sans compétences ni moyens matériels particuliers sont soumises au régime de l’article 150 VH bis du Code général des impôts, même s’ils réalisent des plus-values importantes = régime de l’activité quasi-occasionnelle.
  • Les personnes qui, dans le cadre d’une activité de crypto-trading, mettent en œuvre des moyens intellectuels (formations, conseils, expérience professionnelle) et matériels (logiciels, machines, intelligence artificielle) analogues à ceux dont dispose un professionnel exerçant dans le même secteur d’activité sont soumis au régime de l’article 92 du Code général des impôts (BNC) = régime du quasi-professionnel.
  • Les personnes qui exercent à titre habituel (fréquence, montant des transactions et durée de détention) une activité de crypto-trading pourraient être soumises au régime de l’article 34 du Code général des impôts (BIC) = régime du professionnel.
  • Les personnes qui exercent une activité de crypto-trading en la forme d’une société soumise à l’impôt sur les sociétés échappent toutes ces difficultés puisqu’on applique en tout état de cause les règles de l’impôt sur les sociétés, largement inspirées de celles des BIC.